Au pire moment de la crise touristique que connaît la Polynésie, encore une île (Moorea) qui se ferme à ce tourisme pourtant le plus résilient de tous : la plaisance internationale.
Manque d'infrastructures pour la plaisance en Polynésie ?
La réponse du pays aujourd’hui à cette problématique au travers du PGEM, est de valider la fermeture de zones de mouillages et restreindre à outrance l’accès pour celles qui restent ouvertes au travers d’un système aberrant de “quotas” ridiculement faibles d’un nombre total de 30 voiliers sur l’ensemble du lagon de Moorea sur une dizaine de mouillages différents pourtant officiellement recensés.
Résultat : Plus de 5 000 Ha de lagon tout autour de Moorea, et seulement 10 voiliers sont dorénavant autorisés à venir transiter une ou 2 nuits maximum sur Moorea.
Les 20 autres mouillages en fond de baies de Cook et Opunohu étant plutôt destinés au mouillage de longue durée (et seront occupés par des résidents de Moorea qui ne trouvent pas de place de marina).
Seulement 2 à 3 mouillages sont potentiellement ouverts à tous les plaisanciers qui viendraient de Tahiti, car seule la façade EST de Moorea est accessible sur une durée inférieure à 48h (si ces mouillages ne sont pas déjà occupés par les résidents de la Marina de Moorea qui se trouve à proximité).
La privation de liberté semble donc en croissance continue.
Depuis plusieurs années, tout le monde s’accorde à faire le constat qu’il manque cruellement d’infrastructures en Polynésie pour mieux organiser et recevoir correctement les plaisanciers résidents ou internationaux.
La légère augmentation du flux de ces dernières années, mais surtout les conditions exceptionnelles de la situation sanitaire COVID et la fermeture globale des frontières maritimes dans le Pacifique ouest a retenu un nombre plus important que d’habitude de plaisanciers internationaux dans les eaux polynésiennes.
En 2014, le gouvernement prend la décision du développement de la plaisance en Polynésie avec une extension de l’admission temporaire originelle de 24 mois maximum, et crée “la route des 36 mois”, avec l’objectif de développer des infrastructures pour dynamiser l’économie florissante de la plaisance.
6 ans plus tard, en 2020, ayant échoué à développer de nouvelles infrastructures, le gouvernement décide de faire machine arrière en adoptant à nouveau une réduction du régime d'admission temporaire à 24 mois en espérant limiter le flux des navires internationaux.
En 2021, il n’y a donc AUCUNE nouvelle infrastructure, ni même de projet en cours. En revanche, le gouvernement continue dans sa politique de restriction du nombre de mouillages disponibles.
C’est donc une politique inverse qui est engagée visant à limiter le nombre de navires et augmenter les restrictions en fermant les mouillages les uns après les autres.
En effet, un nombre important de restrictions ont été votées et vont l’être encore pour restreindre la capacité d’accueil des plaisanciers internationaux et pénaliser les plaisanciers résidents qui n’ont plus accès au lagon.
Ainsi la liste des limitations et fermetures s’allonge irrémédiablement :
→ Fermeture du mouillage de la marina Taina.
→ Limitation par des quotas du nombre de voiliers autorisés à mouiller sur l’ensemble de Moorea (uniquement 20 bateaux en mouillage court de 48 heures).
→ Fermeture de l’accès de la moitié OUEST du lagon de Fakarava.
→ Réduction des capacités d’accueil sur l’île de Huahine avec la création de zones de mouillages limitées (prochainement voté).
Zones de mouillage : plus de 5 000 Ha de lagon tout autour de Moorea, et seulement 30 voiliers autorisés à y mouiller.
Mouillages des baies de Cook et Opunohu : + de 25m de fond et effet Venturi.
Ainsi on peut déjà remarquer que la volonté est de concentrer les navires au nord de l’île, dans les baies d’Opunohu et surtout de Cook, qui ne présentent techniquement pas de réels abris, puisque les mouillages se font pour la plupart dans des fonds supérieurs à 25 mètres, dans des baies soumisent à de puissants effets Venturi générés par le vent qui s’engouffre par le fond des baies. La sécurité des plaisanciers n’est clairement pas assurée car tous les voiliers n’ont pas 80m ou plus de chaîne pour sécuriser leur bateau dans ce type de mouillage.
Mouillage de Vaiare : Quota de 2 navires pour une marina de 66 navires.
L’autre aberration provient évidemment du fait que cette concentration au nord ne tenait pas compte de l'existence d’un nombre important de navires au sein de la marina de Vaiare à l’est.
Plus de 60 navires à vocation de loisirs qui ont pour but essentiel et primaire de sortir de la marina le week-end et pendant les vacances pour aller se mettre au mouillage à proximité.
Créer un quota de 2 mouillages autorisés pour répondre à un besoin d’une infrastructure existante de 60 navires n’a clairement AUCUN SENS. Surtout quand il faut y ajouter les voiliers éventuels de Tahiti qui viennent passer le WE ou les vacances sur cette côte, la seule accessible sur une durée réduite à 48 heures maximum.
Mouillage de Tahiamanu : Plus aucun navire n’est autorisé à y mouiller désormais.
La mort d’un plaisancier en 2020 lors d’un accident a probablement motivé cette décision.
La réponse n’est pas appropriée et il n’y a pas que le monde de la plaisance qui le dit.
Mouillage des Tikis immergés (quai de Papetoai) : Pluis aucun navire n’est autorisé à y mouiller désormais.
Supprimer l’accès à ces deux mouillages emblématiques de Moorea revient à “enlever la Tour Eiffel à Paris” : leur renommée est certes locale mais aussi surtout internationale (cf l’interview en bas d’article de la présidente de Taimoana, syndicat des professionnels des activités nautiques).
Mouillage Maatea entre le PK 14 et 15 : 1 navire autorisé
Comment justifier un seul voilier pour une longueur de mouillage sur fond de sable de plus de 1 km ?
Une instauration irrationnelle d’un système de quotas.
A aucun moment l’Association des Voiliers en Polynésie, représentant majeur des utilisateurs du lagon n’a malheureusement été sollicitée pour émettre un avis ou même représenter les plaisanciers, malgré des requêtes auprès de la Commune de Moorea depuis 2017. Les plaisanciers, utilisateurs du lagon au même titre que les pêcheurs, les prestataires, ou les scientifiques ont été volontairement écartés de toute concertation lors de l’élaboration du nouveau PGEM.
La décision de quotas a donc été évidemment prise sans aucune considération d’un certain nombre de facteurs pratiques et techniques évidents liés au monde de la plaisance, et notamment sa vitesse de déplacement.
Pour mieux comprendre la problématique, il faut avant tout avoir conscience des temps de déplacement des voiliers entre chaque zone de mouillage.
Sachant qu’un voilier se déplace exclusivement d’une zone à une autre et ne s’arrête JAMAIS en plein océan et que le lagon est le seul abri naturel dans lequel un voilier trouve sa protection.
Un nombre conséquent de questions pratiques auraient permis d’éviter l’élaboration d’un système de limitations irrationnelles :
1 - Quand un voilier quitte Tahiti pour rejoindre Moorea, comment peut-il savoir s’il aura une place dans le mouillage ?
2- Sachant qu’il lui faudra de 3 à 5 heures pour rejoindre un mouillage, comment peut-il savoir si le mouillage libre au moment de son départ, ne sera pas occupé à son arrivée ?
3 - Qui fera demi-tour en fin de journée pour trouver une éventuelle place ailleurs ? Sachant qu’il faudra au voilier plus de 2 heures supplémentaires pour rejoindre un autre mouillage, sans savoir s’il est aussi déjà occupé.
4 - Comment connaître le statut de chaque voilier présent au mouillage afin de déterminer quand est-ce qu’il devra libérer sa place et à quel moment un nouveau voilier sera en mesure de rejoindre cette place laissée vacante ?
5 - Qui est en mesure d’évaluer la notion de “cas de force majeur” d’un voilier qui vient occuper “illégalement” un mouillage dont le quota est dépassé ?
6 - Qui est en mesure de prendre la responsabilité de faire quitter un mouillage à un navire en difficulté, avec une panne quelqu’elle soit qui ne lui permet pas de prendre la mer en toute sécurité ?
7 - Que va-t’on dire à un plaisancier qui se retrouve bloqué sur un mouillage à cause d’un changement brusque de météo ?
8 - Qui va définir que la météo est suffisamment bonne pour que le plaisancier puisse quitter son mouillage ? (et par conséquent prendre la responsabilité d’une mise en danger d’autrui).
Historique de mise en place de ce nouveau PGEM :
- Fin 2017 : l’AVP interpellait déjà le Maire de Moorea par une lettre dont l’objet était “Propositions de modifications du nouveau projet PGEM de Moorea” … restée sans réponse
- Mars 2019 : Enquête publique en cours concernant le PGEM 2019 de Moorea avec déjà, par exemple, SEULEMENT 13 voiliers autorisés sur la façade Est de Moorea (vallée Maamaa de Teavaro = Sofitel ; Patae = face à la marina et au Champion ; Maatea). L’enquête publique réalisée en vue de l’élaboration du texte définitif du nouveau PGEM avait interloqué tous les plaisanciers (surtout les résidents) de Moorea comme ceux de Tahiti, par le concept de “quota par mouillage” pour y limiter le nombre de voiliers.
Ces quotas ne sont de toute façon pas en accord avec la réalité pratique d’accès au lagon de Moorea et surtout pas en phase avec la localisation des besoins réels relatifs aux aménagements existants.
- Août 2019 : obtention du rapport du Commissaire enquêteur relatif à l'enquête publique du PGEM de Moorea avec UNIQUEMENT 14 réponses (inadaptées) sur les 36 observations formulées par l’AVP.
- Février 2021 : première et dernière rencontre entre l’AVP et les responsables du dossier PGEM de la Commune de Moorea ; il nous a pourtant été confirmé que le mouillage sur fond de sable partout autour de Moorea resterait autorisé 48h.
La notion d’abri côtier reste donc d’actualité mais cela rentre forcément en contradiction avec la notion de zonage et de quotas.
Pour Tahiamanu, les personnes présentes nous ont confirmé que le mouillage ne serait pas interdit mais que le quota serait de 0. Comment interpréter cette information ?
- Septembre 2021 : l’arrêté n°2009 CM du 10/09/2021 tombe et le constat est amer, mais prévisible avec la réduction de 83 voiliers au mouillage (déjà bien ridicules sur le projet initial présenté lors de l’enquête publique), à seulement 30 voiliers, avec fermeture de 3 mouillages.
Et la suite ?
On regrette encore une fois que le tourisme en Polynésie de manière générale va encore largement souffrir d’une image négative au travers du milieu de la plaisance internationale.
Ce sont encore de nouveaux signes qui sont lancés vers une plaisance déjà bien méprisée et stigmatisée, alors qu’elle représente un tourisme à échelle humaine, non polluant et résilient qui alimente pourtant largement l’économie locale (Etude d’impact de la plaisance sur l’économie polynésienne). On ne peut que regretter et dénoncer ces choix.
L’Association des Voiliers en Polynésie œuvre pourtant depuis des années pour essayer d’entamer le dialogue afin de proposer des choix cohérents en adéquation avec les attentes, les besoins des plaisanciers et la gestion optimale d’un lagon pour tous.
Force est de constater une fois de plus que malgré tous nos efforts, la concertation et la construction positive n’est pas l’objectif premier des décideurs.
L’association va donc évidemment mettre en œuvre tous les moyens dont elle dispose pour enrayer cette escalade et continuera à dénoncer le plus largement possible cet acharnement dont la plaisance en Polynésie fait l’objet.
DaMouelle Post author
Commentaire traduit d’un plaisancier laissé sur la version anglo-saxonne de l’article.
“Je suis désolé de dire que, bien que j’apprécie beaucoup les efforts d’AVP, nous avons affaire ici à un phénomène assez courant qui s’appelle le tourisme individuel de masse. Vous trouverez cela dans de nombreuses régions auparavant préservées. Parfois, il est causé par le tourisme de trekking, les routards ou les campeurs, à d’autres endroits, il est causé par les plaisanciers. Les gens croient que leur liberté de voyager et l’impact économique positif possible (mais généralement très exagéré) créent un droit supérieur qui justifie d’ignorer largement la perspective locale. La voile n’est plus un style de vie mais une autre forme de tourisme de masse individuel. Regardons la réalité en face. La plupart des plaisanciers ne donnent rien, mais essaient de prendre le moins cher possible et croient que c’est leur droit d’établir les règles. Qui devrait se soucier de savoir si un bateau a besoin de réparations ? Si vous ne pouvez pas le réparer, vous ne devriez probablement pas vous lancer dans ce genre de voyage ou alors seulement aller dans des endroits qui disposent déjà de l’infrastructure nécessaire. Ce n’est pas très intelligent mais plutôt une expression de l’ignorance que de se mettre en danger et d’attendre des autres qu’ils fournissent les moyens de s’en sortir en pensant que l’argent suffit à le garantir. Naviguer sur les océans est devenu un phénomène de masse, trop de gens avec trop d’argent qui croient que l’argent peut acheter le ticket pour le paradis et qui sont déçus une fois que le paradis revient pour rester le paradis au lieu de se transformer en Disney land pour plaisanciers. Ce n’est pas vraiment nouveau et c’est une bonne raison pour repenser et changer. Je suggère de faire respecter les règles et, dans quelques années, de débarrasser les baies et les lagons des épaves. Et d’établir un quota durable pour les bateaux qui entrent au paradis en premier lieu, sans exception. Ce quota devrait être fixé en tenant compte de l’infrastructure existante et non de ce qui pourrait être développé ou, pire encore, de ce que les marins pensent être acceptable.”