Tahiti et ses archipels voient les épaves de bateaux pulluler. D’autres gisent au fond des eaux après des années d’abandon. Ils prennent les places très convoitées dans les marinas et mouillage, mettent en danger l’environnement et donnent une mauvaise image des plaisanciers. La police portuaire est alertée.
Alizée, Steredenvor, Bloomdidoo... Tels sont les noms des bateaux qui gisent aux fonds des eaux de la marina de Taina (côte Ouest de Tahiti). En surface, d’autres vivent leurs dernières heures. Philippe Olite, le directeur de cette marina, lance en pointant du doigt un bateau au mouillage : «Celui-là, je ne lui donne pas six mois. Et il n’est pas le seul, j’ai une demi-douzaine d’épaves au compteur.»En proportion du nombre de bateaux – une centaine environ –, «cela ne fait pas énorme, mais c’est six de trop. Ce sont eux qui donnent une mauvaise image des plaisanciers en Polynésie»
Des conflits surgissent régulièrement entre les propriétaires de bateaux et les habitants des rivages, notamment à Moorea, sur l’île voisine. «Et puis, que se passe-t-il si l’un des bateaux se détache, ce qui est déjà arrivé, et s’il vient taper un yacht, par exemple. Ce n’est pas encore arrivé. Mais le cas échéant qui payera ? Qui sera responsable ? Personne ne sait. En revanche, nous sommes tous convaincus que cela donnera une image négative de la Polynésie à l’international»s’inquiète Philippe Olite.
En Polynésie, un certain nombre de bateaux sont laissés à l’abandon. «Je n’ai jamais vu ailleurs dans le monde autant de navires sans nom ni quartier maritime»s’étonne un usager installé depuis plusieurs années à Tahiti. Il vit à la marina Taina, non loin des épaves appelées aussi «bateaux ventouses » ou «bateaux poubelles». Certains propriétaires ont quitté le territoire, d’autres payent l’amarrage, la bouée, l’assurance, mais arrivés en fin de caisse de bord, ils ne peuvent plus payer les frais de réparation. Ils n’ont pas non plus le temps qu’il faut pour prendre soin de leur bateau.
«Le temps passe si vite»
Teiva* est propriétaire d’un voilier à la marina d’Arue (côte Est de Tahiti). Là, il y a une dizaine de bateaux à l’abandon, soit 10 % du total. Teiva a acheté le sien en 2003. «J’ai un peu navigué avec. Mais à la troisième sortie, alors que je préparais une régate de nuit avec des copains, le mât a pété net. Depuis, je n’y touche plus. J’ai bien essayé d’en changer, de trouver les pièces, en vain. Je pensais pouvoir prendre ma retraite il y a un an pour me consacrer à lui, mais j’ai trop de travail. Et puis, ça coûte une petite fortune de faire les réparations et c’est très long. Il faut commander certaines pièces, les faire venir, se lamente-t-il. En fait, je l’avoue, je pensais que tout allait durer moins longtemps, le temps passe si vite.»
Arnaud Jordan, président de l’association des voiliers de Polynésie (AVP) fait un constat : «Les gens, parfois, ne prennent pas conscience des contraintes d’un bateau avant de l’acheter. Je dirais qu’il faut compter 20 % de son prix d’achat par an quand c’est un bateau bon marché, 10 % quand il est neuf ou presque. Et on y passe tous ses week-ends ou presque.»
Le président de l’AVP parle par ailleurs «d’histoire d’amour». Selon lui, certains propriétaires ne peuvent se débarrasser de celui qui les a portés sur les eaux, qui ont marqué leur propre vie d’événements heureux ou malheureux. «Mais le temps passe, on n’a plus la force de s’en préoccuper même si on ne veut pas s’en séparer. Il arrive même que les propriétaires décèdent.»
Le problème ? Les bateaux monopolisent les amarres qui ne sont pas assez nombreuses sur le territoire pour accueillir convenablement les résidents et visiteurs. Arnaud Jordan prédit une guerre des places avec l’arrivée des saisonniers en avril-mai. Enfin, les épaves peuvent polluer les eaux avec leurs huiles, leurs batteries, leur carburant et leurs mousses.
Envisager la mort des bateaux
Dans l’archipel, il n’existe pas de filière proprement dite qui prenne en charge les constats, le transport, la dépollution et le sabordement. «Il faut compter à peu près 8 000 euros,estime Philippe Olite. Sachant que cette charge, en plus de l’ensemble de l’organisation de toutes les opérations, est du ressort du propriétaire. Il faudrait créer une loi de Pays** pour mettre les choses en clair.»
La police portuaire est régulièrement alertée. En Polynésie, certaines épaves ont près de 20 ans !
*Son prénom a été changé.
**Depuis 2004, tout ce qui ne relève pas des missions régaliennes de l’État est de la compétence de la Polynésie qui dispose de son président, de son assemblée et de ses ministres.