Des plaisanciers qui se font insulter alors qu’ils sont mouillés tout à fait légalement, des zones de mouillage bondées qui se réduisent comme peau de chagrin, une parole publique qui exacerbe les tensions… Mais que se passe-t-il dans ce coin de paradis qu’est la Polynésie ? Enquête et éléments de réponse dans le n° 594 de Voiles et Voiliers. Extraits.
« Ce matin, un local est venu pagayer autour de mon bateau et s’est mis à me crier dessus en disant : “Vous n’êtes pas les bienvenus, il est interdit de mouiller ici et vous devez partir.” Nous sommes ancrés sans aucun autre bateau en vue, loin de la côte, sur du sable et sommes arrivés ce matin. En d’autres mots, nous avons suivi la loi et mouillé de la manière la plus respectueuse qu’il soit. Un peu plus tard dans la matinée, la police est arrivée dans un bateau pour nous dire qu’une femme qui habite sur la côte les avait appelés pour se plaindre et que nous n’avions pas le droit d’être ici. Cette femme a menti et leur a dit que nous étions ici depuis longtemps. La police nous a confirmé que nous pouvions rester pendant deux jours, comme la loi l’indique. Ils étaient d’ailleurs très sympathiques. Je suis souvent venu mouiller ici depuis cinq ans et j’ai toujours eu d’amicales relations avec les personnes qui y vivent. Cette récente hostilité est la conséquence des frustrations engendrées par la pandémie du Covid-19, mais aussi lorsque Cathy Rocheteau, directrice des Affaires maritimes, a annoncé à la télévision “qu’il est interdit de mouiller partout…” Je ne peux pas prouver qu’il s’agit d’une relation de cause à effet, mais les mots utilisés par l’homme en colère de ce matin étaient quasiment les mêmes que ceux qui ont été prononcés à la télévision. » Bien qu’atteint de dystrophie musculaire, Ryan navigue à bord de son catamaran (un Looping 48 baptisé Kiapa Nui) et se trouvait au mouillage de Haapiti (Moorea) lors de cet incident.
"Les voiliers sont en effet accusés de plein de choses"
Parmi les divers témoignages recueillis, citons celui de Pascal, qui navigue sur un modeste Dufour 29 (baptisé Kini, en hommage à Ella Maillart) et qui est arrivé en Polynésie après avoir réalisé le tour de l’Amérique du Sud par le cap Horn et les canaux de Patagonie. Soit une navigation forte et engagée qui rend humble et lui a permis d’apprécier à sa juste valeur l’accueil des populations rencontrées le long de sa route et d’analyser la situation polynésienne avec du recul : « Les voiliers sont en effet accusés de plein de choses (pollution, destruction du corail…) par les locaux qui, il faut le savoir, ont une pratique de la mer très différente. Les voiliers détestent logiquement coincer leurs mouillages dans les patates de corail, et n’ont aucune envie d’abîmer ce qu’ils viennent justement admirer. Accusation idiote. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour que ça n’arrive pas. Et tout le monde préfère prendre un corps-mort que mouiller par 25 mètres de fond. Encore faut-il qu’il y en ait et qu’ils soient sûrs. Les eaux noires sont également un faux problème. La carte de pollution de l’eau récemment publiée par le pays montre que, justement, les zones de mouillage des voiliers sont nickel. Les zones polluées se trouvent au débouché des rivières qui drainent les ordures et les résidus de fosses septiques (dont 80 % sont non conformes !). Mais c’est plus facile de nous accuser…
De plus, le contenu des toilettes est immédiatement entraîné par le courant, car il n’y a pas d’eau stagnante dans les lagons. Et les rémoras qui vivent sous les bateaux sont stupéfiants d’efficacité, ils se régalent en cinq secondes… Mais c’est bien la pollution visuelle qui pose problème. C’est surtout le fait des riches propriétaires de bord de lagon qui ne veulent pas un seul mât interposé entre leur terrasse et l’horizon. Il faut bien voir que la loi locale n’est pas la loi littorale métropolitaine. Ici, la notion de littoral public existe peu. Il y a très peu de plages publiques, ni de cales pour embarcations. Les propriétaires d’une maison pied dans l’eau s’estiment aussi propriétaires de leur rivage et de leur morceau de lagon, c’est le concept traditionnel. Ici à Raiatea, il y a quelques années, ces riches propriétaires ont monté la tête de la population et organisé des expéditions d’intimidation musclées en toute illégalité : un directeur d’école, un fonctionnaire de la sécurité sociale, etc. se sont arrogé le droit de faire le ménage devant leurs villas. Et les pires sont les “demis”, qui en tant que métis se sentent obligés d’être plus royalistes que le roi. »